L'interview a été publiée dans le magazine MagRH, mai 2021. Avec Betty Abiliou, les contributeurs étaient Nicolas Lozancic, product manager chez Sparks et Lucie Dhorne, responsable pôle ingénierie pédagogique
chez Eurovia.
La crise de la Covid-19 a eu de lourdes et importantes conséquences dans le secteur de la formation. Parmi elles, la digitalisation de l’offre afin de continuer à développer les compétences des collaborateurs en temps de confinement.
De profondes transformations avec un apprentissage à marche forcée qui a durablement modifié les habitudes mais dont on doit aujourd’hui tirer les leçons.
Quelles sont les évolutions accélérées par la COVID -19 ?
La pandémie de la Covid-19 a fortement accéléré la digitalisation des métiers, fait évoluer nos habitudes ainsi que notre culture et utilisation du numérique. Même si la transformation digitale était déjà un enjeu fort pour les entreprises ces dernières années, la formation reste un de domaines le plus impacté avec des conséquences immédiates. Durant la crise sanitaire, la formation a joué un rôle majeur en prenant une toute nouvelle dimension. Les organismes de formation ont dû se réinventer très rapidement afin de proposer des formations 100% digitales. Cette modalité est devenue la modalité principale et majoritaire de formation alors qu’elle était grandement minoritaire en 2019.
« Le digital était dans les tuyaux, mais la prise de conscience de l’impératif de disposer d’une offre digitale, d’avoir l’option distancielle non comme complément mais comme modalité à part entière, est désormais une évidence pour tous ». Nicolas Lozancic.
Au sein des organisations, cela a également accéléré la stratégie digital learning avec une véritable réflexion de fond.
« Il a fallu analyser et identifier les formations que l’on pouvait passer en 100% distancielle de façon pérenne, celles que nous ne pouvions pas digitaliser et donc que nous avons dû annuler et enfin, celles qui ne peuvent pas être 100% digitalisées et que nous avons dû alléger ». Lucie Dhorne.
Le blended learning est une modalité qui a également explosé. Aujourd’hui, ce format apparaît comme une normalité alors qu’il était encore perçu comme un parcours innovant et rare début 2020.
La digitalisation et le blended learning deviennent des éléments structurels.
En devenant la modalité majeure en formation, le digital est devenu structurel.
« Précisons qu’il ne s’agit pas d’évoquer une modalité qui en remplacera une autre, nous parlons bien de deux modalités, présentielle et distancielle, amenées à co-exister, à se compléter. » Nicolas Lozancic.
Au début de la crise, le e-learning s’est largement et fortement imposé, laissant ainsi le temps aux acteurs de la formation de repenser leurs parcours formation en 100% distanciel.
« Très vite la classe virtuelle s’est imposée comme la meilleure solution… de secours. Cela laisse presque à penser que c’était ça ou rien, tant le désert digital est finalement flagrant. » Nicolas Lozancic.
Les formateurs ont fait de cette contrainte une opportunité pour lever de nombreux freins et maîtriser de nouvelles modalités pédagogiques du distanciel. En effet, c’est une erreur de penser qu’il suffit de transposer une formation présentielle en distanciel, il s’agit bien ici de recomposer et de séquencer sa formation. Il a fallu repenser son dispositif de formation en y apportant plus de granularité au sein du parcours et en articulant différentes modalités d’apprentissage.
Cela offre plus de souplesse, de personnalisation et de capacité à adapter l’offre en fonction du public, des objectifs et des besoins des entreprises. Le blended learning, le séquençage et la diversité des modalités pédagogiques sont des éléments structurels qui resteront après le retour à la vie normale.
« Demain, après la COVID-19, il est évident que nous ne repasserons pas à nos formations en 100% présentiel. Nous garderons le format blended learning sur certaines de nos formations qui s’y prêtent ». Lucie Dhorne.
Le rôle du formateur a également évolué. Il doit encore plus qu’avant réussir à créer du lien, personnaliser, accompagner et engager les apprenants dans leur formation. La façon d’apprendre change aussi
profondément. L’apprentissage est désormais moins descendant. Les apprenants jouent un rôle central dans la recomposition des formations : mettre à disposition des ressources, créer des activités pédagogiques et des travaux de groupe en s’adaptant à chaque niveau.
Quelles sont les pratiques amenées à disparaître ?
Au début de la crise sanitaire, de nombreux contenus de formations ont été ouverts et mis à disposition des collaborateurs. Malgré cela, les taux d’accès aux formations sont restés faibles en comparaison des formations proposant un e-learning suivi d’une classe virtuelle, d’un tutorat ou d’un coaching. Le bon vieil e-learning est donc amené à disparaître. « Digitaliser un support PowerPoint, mettre à disposition des documents sur une plateforme de formation, ne permet pas à un collaborateur de se former. » Il faut réfléchir aux pratiques d’ancrage, d’engagement et s’appuyer sur la taxonomie de Bloom ». Lucie Dhorne. L’e-learning peut être un excellent moyen pour transmettre de l’information et ne rester qu’au niveau de la connaissance et de la mémorisation de la taxonomie de Bloom.
Enfin, le tout et 100% présentiel est amené à disparaître. Les formateurs, les apprenants et les entreprises ont su percevoir les avantages du digital en ingénierie pédagogique. Cette modalité sera donc mixée au digital pour favoriser l’ancrage sur la durée et permettre aux apprenants d’apprendre à leur rythme.
Quelles sont les tendances conjoncturelles ?
« Ce que nous vivons depuis un an ne révolutionne pas la formation digitale, cela permet d’accélérer la nécessaire mutation de ce marché. Il faut certes digitaliser, mais il faut aussi penser la digitalisation » Nicolas Lozancic.
Les outils restent au service de l’ingénierie pédagogique. Aussi, pour créer des parcours de formation innovants et articuler les modalités pédagogiques, il est important de se demander pourquoi créer cette activité, dans quel but avant de choisir un outil. Plusieurs tendances ressortent et s’imposeront massivement ces prochaines années. Tout d’abord, l’open source, l’open education et le social learning. Il ne suffit plus aujourd’hui de mettre à disposition du contenu mais de proposer aux apprenants de le créer, de le compléter, de l’alimenter, de s’en imprégner pour ensuite en discuter entre pairs ou au cours d’une classe inversée.
Nous devons « encourager les collaborateurs à créer des contenus de formation en lien avec leurs expertises, passions, loisirs. Les services formations devront ensuite arbitrer, valoriser ce travail et faire d’eux des ambassadeurs experts» Lucie Dhorne.
Nous parlons ici de créer une organisation apprenante. Cette tendance est plus importante et structurelle que l’adaptive learning, nouvelle tendance sur le marché de la formation.
« Même si on en parle beaucoup, l’intelligence artificielle nécessite que les entreprises aient créé leur cartographie des compétences et leur nomenclature des métiers. Cela reste difficile puisque les métiers évoluent de plus en plus vite avec de nouvelles compétences » Lucie Dhorne.
Enfin, dans cette accélération de la formation digitale, une des clés de réussite est l’accompagnement des apprenants.
« Comment apprendre aux collaborateurs à apprendre sur la durée, sur le long terme ? Comment développer leur curiosité et créativité ? ». Lucie Dhorne.
Les fondamentaux maintenus et renforcés
L’ingénierie pédagogique présentielle et surtout digitale sont deux compétences qui se sont renforcées avec la crise sanitaire.
« Le tutorat, et l’animation de classe virtuelle soulignent les compétences qui sont nécessaires à la création et à l’animation de formations à distance. ».
Les formateurs doivent être plus agiles et compétents en ingénierie pédagogique et en animation pour répondre aux différentes modalités pédagogiques.
« C’est finalement à la faveur de cette crise que l’on prend conscience de son importance. » Nicolas Lozancic.